David Bowie – Toy

Note : 4 sur 5.

Jusqu’à 2016 chez les fans de David Bowie on aimait plutôt bien les mois de janvier, on fêtait les anniversaires de Station To Station (RCA) sorti en janvier 1976 ou encore le coup d’envoi de sa fameuse trilogie berlinoise avec la parution de Low (RCA) en janvier 1977. Et soudainement, depuis 2016, tous les mois de janvier ont eu le goût de la désolation, le rappel qu’en l’espace de quelques heures on a fêté la sortie de l’étrange et surprenant Blackstar (Columbia) le 8 avant que le deuil ne s’abatte irrémédiablement sur nous le 10. Et on ne sait pas pour vous, mais ce deuil ne nous a jamais vraiment quitté depuis.

Le deuil  mais aussi parfois le sentiment désagréable qu’on en veut un petit peu à nos économies. Alors on nous parle de fouille approfondie des archives mais mettons les pieds dans le plat immédiatement : le fan de Bowie déjà largement abreuvé de coffrets collectors plus ou moins dispensables, de lives déterrés des tiroirs et de compilations plus ou moins légitimes se fera-t-il une fois de plus tondre avec l’apparition de ce nouvel objet sonore ?

A vrai dire tout dépend de quel fan. 

frank ockenfels

Chez les fans érudits de Bowie l’histoire de Toy (Parlophone 2022) est aussi connue que celle de SMiLE (Capitol 1971) chez les fans érudits des Beach Boys. A deux exceptions près, et même si les deux albums ont été refusés par leurs maisons de disques respectives, Toy était considéré comme un disque moyen mais achevé alors que SMiLE avait du être arrêté la faute à une créativité « mal contrôlée » dirons nous pour faire simple. 

Mais pourquoi donc ce parallèle entre deux artistes a priori assez éloignés? Point commun de leurs deux albums : des versions reconstituées aux origines imprécises ont circulé pendant un paquet d’années, donnant à ces oeuvres recalées par l’institution un goût d’interdit.

Les deux disques maudits partagent également l’honneur d’avoir été dépecés au profit des opus suivants. Pour rester sur la discographie de Bowie, deux chansons de Toy ont fini recyclées sur Heathen (Columbia 2002) – Afraid et Uncle Floyd (renommée Slip Away)  – et trois sur la compilation Nothing Have Changed (Columbia – Parlophone) en 2014 : Let Me Sleep Beside You, Your Turn To Drive et Shadow Man.

Au final, si SMiLE est reconnu comme le chef d’oeuvre absolu de Brian Wilson (terminé et sorti finalement en 2004), Toy se trouve présenté comme la levée d’un grand secret de polichinelle. Par conséquent ces fameux fans érudits n’y trouveront rien d’exceptionnel, d’autant que le disque offre un recueil de chansons de jeunesse passées lors inaperçues et que Bowie, au retour d’une tournée galvanisante avait voulu retravailler avec son groupe. 

Oui mais voilà, tout le monde n’est pas un fan érudit. L’immense majorité du public de David Bowie n’avait strictement aucun soupçon quand à l’existence d’un tel album enfoui dans les archives. De même, cette immense majorité de fans ignorait tout des premiers 45 tours du début des années 60 de Davie Jones with The King Bees, des Manish Boys ou The Lower Third. C’est donc drapée de cette virginité que la majorité des gens découvrent aujourd’hui Toy. Et hélas, le premier contact est visuel. Pourquoi hélas ? Parce que cette pochette est unanimement accueillie avec effroi, y compris dans nos colonnes. L’excellent Jérôme Soligny a beau évoquer un certain attrait de Bowie pour la monstruosité en tant qu’art, le visage difforme du chanteur sur ce corps de bébé glace le sang. On a vu plus incitatif surtout chez Bowie.

Mais faisons fi de nos frissons et profitons enfin de ces douze titres à la production remarquable.  Tony Visconti était de retour, un certain dynamisme également. Les morceaux les plus rock débordaient d’énergie et de joie de vivre à l’image de ces versions revigorées de You’ve Got A Habit Of Leaving, Let Me Sleep Beside You ou de Karma Man nous rappelant que Toy n’est pas un album posthume, mais bien le travail d’un musicien en pleine forme qui avait encore devant lui notamment le triomphe du Reality Tour de 2003 (qui certes allait sonner à son interruption le début des vrais ennuis de santé).

Pour varier les intensités Conversation Piece mais surtout Shadow Man apportaient la touche émotionnelle dans des versions là encore très réussies, la voix de Bowie atteignant des sommets de maîtrise. Par la suite néanmoins quelques morceaux se révélaient plus faibles et l’on se serait bien passés de Baby Loves That Way et Silly Boy Blue dont la version étirée sur plus de 5 minutes n’a rien éveillé en nous de plus que sa première mouture de 1967.

Toy, la chanson éponyme qui clôt le programme développe des spirales pianistiques et vocales qui en font à juste titre la pièce la plus séduisante et la plus travaillée du disque, une heureuse surprise alors que l’on pensait que l’album avait atteint un certain rythme de croisière.

Ainsi, après les années indus, electro-rock d’Outside (RCA 1995) et Earthling (RCS 1997) à courir après The Prodigy,  après la mollesse de Hours (Virgin 1999), c’était un pop rock plus lumineux et plus authentique qui se réinvitait et qui préfigurait assez fidèlement le parcours qu’a suivi Bowie dans ses productions ultérieures. 

Nous n’en avons néanmoins pas fini avec l’affaire Toy. Faisons nous avocats du diable, et tentons de comprendre ce refus de publier le disque qui nous apparaît vingt ans après comme un crime de lèse-majesté, une aberration. Côté Virgin l’époque était dure, les maisons de disques rataient le virage internet et se faisaient joyeusement faire les poches par les fans via les Napster, KaZaA, eMule et consorts… Côté artiste, il faut bien avouer que depuis une vingtaine d’années Bowie n’avait plus tout à fait la côte et qu’il venait notamment de passer les dix dernières à se faire tailler des croupières par toute la scène grunge aux Etats-Unis et britpop au Royaume-Uni. Dit autrement les quadra de 2001 se rappelaient Ziggy Stardust, Under Pressure et Let’s Dance. De son côté la jeunesse connaissait mal la légende et croyait que The Man Who Sold The World était une chanson de Nirvana. 

Le dernier album Hours sorti en 1999 n’avait pas emballé les foules, autant dire que le retour en grâce allait devoir encore attendre et que Bowie n’arrivait pas vraiment en position de force chez Virgin pour imposer son nouveau projet Toy. Pour la maison de disques ce fut un grand non. Et par la suite un départ bruyant de l’artiste vers la concurrence.

Jettons nous dans la mêlée et choisissons notre camp : et si tout bien réfléchi c’étaient les gens de chez Virgin qui avaient eu raison ? Peut-être fallait-il en effet dire non à cette parcimonie créative et pousser Bowie non pas simplement à réviser son fond de catalogue mais à se réinventer une fois de plus de fond en comble comme il a toujours si bien su le faire ?

Après tout, un an après sortait Heathen qui artistiquement laissait Hours et pas mal d’albums précédents loin derrière. Et nous savons que par la suite et jusqu’à la fin tous les disques ont plus que valu le coup. 

Alors disons nous que rien n’arrive par hasard et que le soufflet reçu par Bowie en 2001 et sa révolte nous ont certainement permis d’avoir encore quatre albums remarquables. Toy sort peut-être finalement au bon moment. 

Une certitude cependant : il aurait été dommage de ne jamais pouvoir l’écouter et l’apprécier.

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