Label : Broken Clover Records
On ne tombe pas tous les jours sur un objet musical aussi riche que ce nouvel album de torpedo. Allant puiser aussi bien dans le post rock, le shoegaze, le noise rock que dans le psyché, l’electro d’avant garde ou la poésie parlée, le trio ne se contente pas d’inventorier les styles mais les agglomère avec talent pour forger sa propre identité. Tant de talent.
Déjà auteurs en 2019 de Sphynx (Autoproduction), un premier album regorgeant de créativité et qui posait les jalons de leur style, les suisses sont clairement montés en gamme avec Orpheo_ Nebula (2022 Broken Clover Records). Après avoir rencontré « leur batteur » en la personne du néerlandais Andries Hannaart, le duo formé par Carole Obère (chant, guitare) et Jérôme Diserens (basse, claviers) ainsi passé trio a choisi un environnement de travail clairement plus en phase avec son esthétique, passant d’une paisible maison proche du bord de mer en Irlande à l’atmosphère oppressante d’une usine de metallurgie désaffectée.

Tout cela pèse dans la balance, et du bon côté avec un disque plus travaillé de l’aveu même de ses créateurs. Les expérimentations plus poussées notamment dans les conclusions noisy de morceaux comme « Part III – La Mort » ou « The Fall » donnent de l’ampleur, apportent le supplément de noirceur et de chaos à des compositions torturées, transpercées de toutes parts par les incantations de Carole Obère. La chanteuse déclame, gronde, chuchote, délaisse massivement le chant conventionnel et livre une interprétation magistrale, remarquablement habitée, aux portes de la transe, aux portes de la folie.
Au commencement était le verbe a dit St Jean, sous réserve que St Jean ait existé. Quoi qu’il en soit, torpedo a bien choisi le verbe comme point de départ, faisant de son album un habillage sonore de textes poétiques et reposant moins sur la métrique que sur leur potentiel émotionnel et leur musicalité. Trop souvent dans le rock ce sont les mots qui viennent se greffer, de fait ici les riffs servent l’intention du texte, l’effet est renversant.
Superposition de prises enregistrées en groupe et d’un travail massif de collage et d’expérimentations sonores réalisés a posteriori, les chansons d’Orpheo_Nebula additionnent dans un même mouvement la fougue des musiciens et la minutie de la post production. Côté fougue nous avons déjà signalé le chant de Carole Obère, et outre le fait que le trio joue comme une seule personne, ne nous privons pas du morceau de bravoure que constitue ce break magistral de batterie dans lequel Andries Hanaart, tel un Dave Grohl ultra caféiné, percute le final de « HELL » dans un fracas de Bonham triplets. Côté minutie, il faut plusieurs écoutes attentives pour prendre conscience progressivement du laboratoire d’idées géniales qui s’offre à nos oreilles. Il y a les riffs bien sûr, les phrases musicales entremêlées, mais également des nappes harmoniques, des bruitages, des larsens, plusieurs voix qui émergent, concentrez vous dès les premières secondes pour ne pas en perdre une note.

A la console, saluons le travail de Jeremy Conne qui a su rendre la richesse des orchestrations sans atténuer les intentions et nous livrer au final ce mix défini qui évite les deux écueils qui auraient été la sensation de surcharge et l’excès de grave. Ici le son est plein, rond avec une pointe d’agressivité quand nécessaire. En somme torpedo a parfaitement choisi son quatrième homme.
Ne terminons pas sans un coup de chapeau à Atra Biler pour cet artwork à la fois minéral et ésotérique, renvoyant avec naturel aux teintes sombres et mystérieuses de la musique.
torpedo est à découvrir absolument, un groupe avec tant de personnalité qu’il peut s’affranchir totalement des conventions. Le public sait ce qu’il lui reste à faire, à commencer par cliquer ci-dessous et à laisser le charme agir.
Orpheo_ Nebula by torpedo