Label : Rough Trade Records
Toujours aussi turbulents, toujours aussi vifs et surdoués, toujours aussi fatigants pourront aussi dire certains, les anglais de black midi signent avec Hellfire (Rough Trade Records) un troisième album qui parvient à apporter du nouveau à leur musique complètement fofolle, et de surcroît du nouveau parfaitement inattendu.
Ainsi, après avoir débarqué en 2019 avec une musique si timbrée que tout le monde l’a crue – et la croit encore aujourd’hui – improvisée, après avoir convaincu le monde du rock avec Cavalcade (Rough Trade Records) en 2021 qu’ils n’étaient pas une simple bande de dingues mais bien au contraire des créateurs d’avant-garde et des bosseurs forcenés, les revoici avec un album dont le titre « Hellfire » traînait dans un coin de l’esprit du guitariste chanteur Geordie Greep depuis un bon moment.
Verdict : ils ne se sont pas calmés. Mais alors pas du tout. Est-ce vraiment une surprise ?

Mieux que ça, ils se sont payés le luxe de remettre une pièce de plus dans la machine, nous propulsant dans leur disque comme dans un grand événement sportif, ring announcer et half-time show à l’appui.
Et il faut bien avouer que l’entrée en matière avec « Sugar/Tzu » a tout de l’exploit sportif, le trio se plaisant toujours autant à aligner les plans les plus improbables en affichant une facilité insolente. Augmenté pour l’occasion de leurs musiciens de scène Kaidi Akinnibi au saxophone si King-Crimsonien et Seth Evans aux claviers, black midi déroule une première partie d’album finalement assez équilibrée si ce terme peut avoir un sens lorsque l’on parle de black midi.
Les moments de bravoure menés par un Geordie Greep forcément tonitruant dans « Sugar/Tzu » et « Welcome To Hell » trouvant leur pendant dans les très jolies contemplations chantées par Cameron Picton dans « Still » ou les explorations sonores, notamment latines, dans « Eat Men Eat », avec à nouveau le bassiste dandy au micro.
La « deuxième mi-temps » confirme que ces jeunes anglais ont parfaitement compris ce que l’on attend d’eux et donc qu’ils font exactement autre chose. En l’occurence un sacré pas de côté vers les comédies de Broadway. Voilà qui était sacrément inattendu. Mais vraiment ?
On sentait depuis Cavalcade chez Geordie Greep cette envie de se faire crooner. Une voix bien posée avec des vibratos appliqués, des intonations de plus en plus théâtrales, mieux fringué, mieux peigné (on plaisante, il a toujours eu la classe sauf quand il se pointait en survêtement sur scène), le guitariste et chanteur semble s’être progressivement aménagé un espace supplémentaire de liberté au sein de la musique de son groupe, une sorte de carré VIP dans lequel il peut faire sa géniale petite cuisine avant de l’apporter à un ensemble prenant alors des allures de cabaret déjanté. Et en la matière, « The Race Is About To Begin » pousse le bouchon très très loin.
L’ouverture stylistique prend toute son ampleur sur les trois morceaux fermant la marche, atteignant son sommet avec « The Defence », les orchestrations donnant alors la part belle à la voix, au saxophone et aux claviers, la guitare s’efface et les couleurs jazz s’installent. Et quand black midi sonne comme une sorte de big band électrifié le songwriting se fait délicat et la maîtrise technique apparaît sous un autre jour plus riche en nuances. Le tout parsemé de grands coups d’éclats, on ne se refait pas.

Au sifflet et aux manettes, la productrice Marta Salogni a encore réussi, elle qui avait déjà compris comment dompter Cavalcade, à faire apparaître de l’ordre dans cette nouvelle débauche sonore. Hellfire se révèle un caméléon musical, tantôt rock, tantôt jazz, tantôt orgiaque, tantôt subtil, c’est un nouveau tour de force pour la productrice qui avait déjà l’expérience des noeuds dans le cerveau en ayant produit notamment deux albums avec Björk.
Cohérents dans le visuel également qui rend bien compte des sensations de l’auditeur, y compris de l’auditeur pour qui ça ne passerait pas vraiment. C’est dense, quasi indigeste et pour autant fascinant. Il faut d’ailleurs une certaine grandeur pour assumer ses excès à ce point, les anglais creusant leur sillon dans cette direction à la fois belle mais débordante de tout et utilisant chaque pixel ou chaque seconde de bande disponible pour y ajouter un détail.
Hellfire reste donc à réserver aux gros appétits, mais qui n’a pas envie parfois d’un festin bien copieux ? Ce que bon nombre de groupes de math rock, de prog rock, de jazz rock et j’en passe font avec application et sérieux, black midi le fait avec jubilation et bonheur communicatif. Voilà ce qui nous les rend éminemment sympathiques et addictifs.
En playlist : Welcome To Hell